Maintenant, il faut faire du neuf à gauche
par Claude DEBONS, Raoul Marc JENNAR, Yves SALESSE.
Tribune de Libération du 22 décembre 2006 .
La décision du Parti communiste de présenter Marie-George Buffet « bien qu’elle ne fasse consensus ni au sein des collectifs, ni entre les
organisations, et sans attendre les résultats de la nouvelle consultation
des collectifs » marque une rupture avec la perspective d’un candidat commun
de la gauche antilibérale à l’élection présidentielle. Malgré l’aspiration
unitaire de milliers de militants communistes, notre rassemblement est
ébranlé. De son côté, la majorité de la LCR, toute à son affirmation
identitaire, avait porté le premier coup à cette construction, en se mettant
à l’écart du processus dès le mois de septembre, puis en présentant Olivier
Besancenot.
L’évolution unitaire positive du PCF ces dernières années montre ses limites
avec cette incapacité de comprendre que notre rassemblement pluraliste ne
pouvait s’incarner dans la candidature de la principale dirigeante d’une de
ses composantes. Malgré des déclarations contraires, force est de constater
que le vieux schéma du " rassemblement autour du Parti " a la vie dure,
alors même que les combats émancipateurs dans le monde se font aujourd’hui à
partir de nouvelles références et de nouvelles pratiques. Cette expérience
montre aussi l’incapacité de la majorité de la LCR à sortir d’une culture
minoritaire et à se hisser au niveau des exigences de la construction d’une
alternative.
Nous sommes tristes en pensant aux millions d’hommes et de femmes qui
souffrent des politiques néo-libérales et qui attendent une alternative
politique. Nous sommes tristes en pensant aux nombreux participants de nos
derniers meetings et à celles et ceux qui s’étaient mobilisées pour la
victoire du Non au Traité constitutionnel européen.
Mais nous sommes aussi en colère contre ces mauvais choix qui ont conduit à
sacrifier une chance historique de battre la droite tout en faisant réussir
une alternative à gauche. Pour n’avoir pas su choisir jusqu’au bout la
logique du rassemblement antilibéral, le PCF risque de le payer très cher au
printemps prochain. Sa direction risque alors d’être écartelée entre deux
options : le repli dans une marginalité identitaire ou la satellisation
autour du Parti Socialiste via des circonscriptions concédées. Avec, dans
les deux cas, une incapacité à peser sur l’avenir politique de notre pays.
Quant à la démarche solitaire et cantonnée à la protestation, choisie par la
majorité de la LCR, elle n’apporte aucune réponse crédible à nos concitoyens
qui attendent au plus tôt un changement de leurs conditions d’existence.
Nous ne pouvons nous résigner à cette double impuissance.
L’enjeu, c’est la recomposition du paysage politique à gauche et la capacité
de la gauche de transformation à ne pas être durablement marginalisée.
Laisser le paysage politique s’organiser dans un bipartisme sans espoir,
partagé entre un parti libéral réactionnaire et un parti social libéral,
avec l’ombre menaçante du Front National comme réceptacle de toutes les
exaspérations sociales, serait dangereux pour l’avenir démocratique et
l’espérance sociale dans notre pays.
La tâche est ambitieuse. Nous héritons des conséquences d’un siècle
tragique. Les guerres capitalistes et les oppressions coloniales l’ont
ravagé. Et les diverses tentatives d’émancipation humaine ont échoué.
L’espérance révolutionnaire s’est enlisée dans le cauchemar bureaucratique
et policier du stalinisme. Les expériences de transformations progressives
du capitalisme se sont achevées en capitulations social-libérales.
Dans le même temps, ces dernières décennies, de
nouveaux mouvements sociaux ont cherché à ouvrir de nouvelles voies
pour l’émancipation - féminisme,
écologie, altermondialisme - et pour l’affirmation des droits. Sur
d’autres
continents, notamment en Amérique latine, de nouvelles contestations du
capitalisme libéral se développent. Et depuis 1995 en France, le réveil
des
luttes sociales s’est combiné avec un rejet croissant des politiques
néo-libérales.
Nous avons la responsabilité de reconstruire l’espoir de la transformation
sociale, environnementale et démocratique, de bâtir un projet alliant le
meilleur de la tradition du mouvement ouvrier et des combats républicains,
avec les apports des nouveaux mouvements sociaux.
Nous avons d’ores et déjà réalisé de grandes avancées. Partant d’histoires
et de cultures politiques très diverses, nous avons travaillé ensemble,
appris à nous connaître, et réussi à élaborer un socle politique commun
ambitieux, tant sur les questions de stratégie que de programme.
Nous devons répondre à l’attente suscitée par la victoire du 29 mai et ne
pas laisser se disperser les forces qui s’étaient rassemblées dans la
campagne du référendum. Nous ne tirons un trait sur personne, sur aucune
tradition historique, sur aucune sensibilité politique. Mais nous sommes
persuadés qu’il faut résolument faire du neuf à gauche.
Nous sommes déterminés à poursuivre dans la voie d’une nouvelle perspective
de transformation et à faire vivre l’unité nécessaire pour la porter. Les
bases existent avec les réflexions et actions menées en commun depuis deux
ans. Nous avons au fil des mois tissé des liens de travail et de lutte. Nous
ne sommes pas au bout du chemin, mais ce qui est déjà engrangé est
prometteur. Ensemble, nous avons la possibilité de faire vivre une autre
voie à gauche.
Le 22 décembre 2006.