ENTRETIEN AVEC MICHEL ONFRAY, PHILOSOPHE ET PARTISAN D'UNE CANDIDATURE UNIQUE DE LA GAUCHE ANTILIBÉRALE
"Un vote de conviction est désormais impossible. On peut voter blanc ou Ségolène Royal"
LE MONDE | 29.12.06 | 15h28 • Mis à jour le 29.12.06 | 15h2
La tentative de trouver une candidature unique de
la gauche antilibérale vient d'échouer. Vous l'avez soutenue. Quels
sont les responsables de cet échec ? La Ligue communiste
révolutionnaire avait donné le ton en affirmant très vite et très tôt
qu'elle n'en serait pas, prétextant des différends sur la gestion de la
gauche antilibérale en cas de victoire de la gauche libérale. Lutte
ouvrière s'est tenue à l'écart, jouant la carte de l'intégrisme
révolutionnaire. La direction du Parti communiste, tout à ses
tractations d'appareil menées contre la base des militants, a noyauté
les comités antilibéraux afin d'obtenir une majorité communiste lors du
vote national. José Bové a tergiversé, s'est fait désirer.
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Restaient
Patrick Braouezec, Yves Salesse et Clémentine Autain qui ont joué
collectivement un jeu que les autres jouaient personnellement. Mais
sans succès : l'honnêteté ne paie pas. Les responsabilités sont
diluées, mais sans conteste, les états majors de la LCR et du PCF en
portent la plus grande part. Comme toujours, les militants sont les
dindons de la farce.
N'y a-t-il pas eu aussi des problèmes d'ego entre les différents candidats ?
Bien
sûr que si. Je n'ai pas assisté aux tractations en coulisses, mais je
crains que José Bové ait été le plus fort dans ce genre de jeu...
"J'irai bien, je suis prêt, j'y vais, j'y suis, je repartirais bien, je
m'en vais, mais je peux revenir si les conditions m'y obligent", etc.
Bové représentait un espoir car il cristallisait plus que lui, mais il
n'a pas pris en compte cette dimension qui le dépasse. La culture
antiautoritaire des antilibéraux a joué contre une solution claire :
chacun voulant le leadership secrètement, mais n'osant pas se comporter
comme c'est nécessaire. L'union de la gauche antilibérale nécessitait
un génie stratégique et tactique qui a manqué.
Vous dénoncez les pratiques du PCF. Pensez-vous qu'il peut changer ?
Je
crains que non tant que ses destinées seront entre les mains de gens
comme Marie-George Buffet, dont on ne dit pas assez qu'elle faisait
partie de l'équipe de Georges Marchais, grand stalinien s'il en fut. Le
PCF n'est plus stalinien car Staline n'existe plus. Il ne soutient plus
les pays de l'Est car il n'y en a plus.
Mais la déstalinisation
de l'appareil reste à mener, ce qu'attendent les anciens communistes,
les exclus, les rénovateurs, les sympathisants, les militants, bon
nombre d'adhérents qu'on sacrifie toujours sur les autels des
états-majors...
Une démarche de ce genre, hors partis à gauche, est-elle vouée à l'échec ?
Jouons
la carte hors partis en tablant désormais sur la base des militants et
des sympathisants contre les états-majors plus soucieux de politique
politicienne afin de faire rentrer l'argent dans les caisses, notamment
avec des tractations de circonscriptions réservées d'élus pour le PCF,
ou préoccupés de s'assurer le leadership de l'extrême gauche sur
l'échiquier politique français pour la LCR.
Ce qui veut dire
que, par-delà les partis politiques constitués, un genre de front
populaire antilibéral, à même de préparer les échéances électorales
futures, des législatives de 2007 à la présidentielle de 2 012. C'est
possible dans une formule à inventer de coordinations, de
rassemblements, de mutualités.
En avril 2007, parmi les candidats de gauche, pour qui allez-vous voter ?
Je
me vois mal donner ma voix à la candidate de Lutte ouvrière, restée
bloquée sur un logiciel des années 1920. Je n'ai pas plus envie de
voter pour une LCR plus soucieuse de politique politicienne que de la
misère française. Je ne voterai pas pour un PCF dont la direction n'a
pas renoncé aux méthodes staliniennes. Un vote de conviction semble
désormais impossible.
On peut alors choisir de rester pur et se
cantonner à la seule éthique de conviction en votant blanc aux deux
tours. On peut aussi mettre les mains dans le cambouis, composer une
éthique de responsabilité : voter blanc au premier tour et Royal au
second ; ou voter utile deux fois en choisissant Ségolène Royal. Ce qui
suppose - ce que je crois - qu'à défaut d'idéal, on compose avec une
gauche antilibérale responsable qui pense que la droite de Sarkozy, a
fortiori celle de Le Pen, ça n'est pas la même chose que la gauche
libérale des socialistes.
Propos recueillis par Sylvia Zappi
Article paru dans l'édition du 30.12.06.