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lors
que le Groupe d'experts international sur l'évolution du climat (GIEC)
est réuni jusqu'au 6 avril à Bruxelles pour mettre la touche finale à
son rapport sur les conséquences du réchauffement climatique, ce
dernier n'est plus la seule affaire des scientifiques : il intéresse
aussi les militaires, et notamment les militaires américains. Le
réchauffement de la planète devient, en effet, une composante
essentielle de la sécurité des Etats-Unis et devrait avoir des effets
majeurs sur l'évolution de la géostratégie dans les prochaines
décennies. "Nous devrons glisser de la guerre contre le terrorisme vers le nouveau concept de sécurité soutenable",
résume John Ackerman, de l'Air Command and Staff College de l'US Air
Force. Il intervenait lors d'un colloque organisé les 30 et 31 mars par
le Triangle Institute for Security Studies (TISS), à Chapel Hill (Caroline du Nord), pour explorer les nouveaux défis stratégiques issus du changement climatique. Premier
constat, la nécessité de prendre en compte de nouveaux facteurs de
déstabilisation : sécheresses affectant un nombre croissant de pays,
épidémies ou extensions de maladies tropicales (paludisme, choléra,
schistosomiase), crises de l'eau, événements météorologiques extrêmes.
Ces phénomènes devraient se multiplier et appeler des interventions
militaires, notamment en cas de crises humanitaires. Plusieurs
participants ont aussi souligné qu'il fallait envisager, au moins à
titre d'hypothèse, des changements abrupts du climat.
Plus
précisément, a été évoquée la manière dont le réchauffement pourrait
susciter des changements régionaux. La rareté croissante de l'eau dans
le sous-continent indien pourrait affecter sa stabilité - l'Inde
cherchant à s'assurer les ressources hydriques contrôlées ou utilisées
par ses voisins. Idem en Asie centrale ou au Moyen-Orient. L'ouverture
de l'océan Arctique libéré de la banquise crée une route maritime
nouvelle, donc un enjeu stratégique. L'Afrique, qui détient beaucoup de
réserves pétrolières, sera aussi affectée par le changement climatique.
Or, remarque Robin Dorff, du groupe de réflexion Creative Associates,
ces phénomènes se produisent alors que "le principal problème stratégique des Etats-Unis au début du XXIe siècle est la faiblesse et le manque de légitimité et de gouvernance de beaucoup d'Etats".
De
plus, les Etats-Unis devront faire face à des migrations massives. En
effet, a souligné Nazli Choucri, du Massachusetts Institute of
Technology, "le changement climatique imposera une charge
disproportionnée sur les pauvres, et renforcera les clivages sociaux et
la marginalisation".
DANGER COMMUN
Tout
n'est pas sombre car le changement climatique pourrait apaiser
certaines tensions, en poussant à une coopération face au danger
commun : "Qu'on fasse de l'Inde et de la Chine des amis plutôt que des menaces dépendra de ce qu'on fera sur l'énergie et sur l'environnement", a indiqué un général requérant l'anonymat.
Comment
l'US Army peut-elle se préparer face à ces défis ? A court terme, elle
doit envisager trois changements, a résumé Thomas Morehouse, de
l'Institute for Defense Analysis : "Se préparer à beaucoup plus
d'opérations humanitaires et de maintien de la paix ; adapter les
infrastructures côtières ; élaborer une structure énergétique plus
efficace." Ce dernier point n'est pas anecdotique : l'armée
américaine est le premier consommateur mondial d'énergie, qui lui coûte
près de 11 milliards de dollars par an. Cela handicape sa souplesse : "Sur le terrain de bataille, 70 % du tonnage apporté est du carburant."
Les
enjeux sont si importants qu'il faut imaginer un nouveau cadre
stratégique. C'est ce que proposera, dans les prochains jours, un
rapport du Center for Naval Analysis, une institution indépendante
créée en 1942 aux marges de l'Armée et animé par des officiers à la
retraite : "Le changement climatique est une réalité et le pays comme l'armée doivent s'y préparer",
indique un de ses auteurs, requérant l'anonymat. Cela n'est-il pas en
contradiction avec la politique actuelle de l'administration Bush ? "L'armée n'est pas au service d'une administration particulière, répond-il, mais au service du pays."
Hervé Kempf
Article paru dans l'édition du 04.04.07. |