POUR UNE « GAUCHE NOUVELLE»
1.
SUR LES CENDRES DU 29 MAI
L'extraordinaire audience rencontrée par les promoteurs
d'un « non de gauche au TCE » pendant la campagne référendaire, le
triomphe du « non » ont fait naître une immense espérance : donner à
cette victoire une traduction politique, être au rendez-vous que l’Histoire nous
donnait après une défaite majeure des libéraux de droite ET de gauche. Maintenant que de cette
espérance il ne reste plus que des cendres, il faut en tirer les
conséquences. Première question : cette espérance
était-elle fondée ? Sans doute, tout projet qui entend changer le système
comporte sa part d'utopie. Mais il ne fait aucun doute que le « non »
de gauche avait reçu l’appui d’au moins 12 millions (sur les 15 millions obtenus
par le « non ») de femmes et d’hommes aspirant à autre chose qu’un
projet de société néolibéral. Deuxième question : cette espérance était-elle partagée
? La
vérité, et elle est confirmée par des sources à l'intérieur de la direction du
PCF comme à l’intérieur de la direction de la LCR, c'est qu'il n'a jamais été question que Buffet ne soit
pas candidate et qu'il n'a jamais été question que Besancenot ne soit pas
candidat. Ceux qui affirmaient que ce n’était « pas une question de casting » nous
mentaient. Un dirigeant communiste, qu'il appartienne au PCF ou à la LCR, ne
partage pas ce qu'il détient. La règle est toujours la même : « ce qui est
à nous est à nous ; ce qui est aux autres est négociable ».
Troisième question : cette espérance était-elle
réaliste ? S’appuyant sur une réalité électorale (l’échec cuisant en
2002 de l’alliance PS-PCF-Verts et du gouvernement dérégulateur soutenu pendant
cinq ans par ces trois partis), sur l’immense impopularité du gouvernement
Raffarin, sur l’intensité des luttes sociales (retraites, intermittents,
enseignants, CPE,…), sur l’importance des mobilisations en phase avec certains
de nos fondamentaux (défense des services publics, revendications écologiques,
campagnes altermondialistes, …), il n’était pas déraisonnable d’espérer
construire une démarche commune à partir d’un projet commun.
Mais c’était compter sans la volonté des appareils de
faire passer leur survie avant le projet et les objectifs. Nous avons manqué de
réalisme en pensant que les socialistes du « non » allaient rompre
avec un parti dont le programme allait dans un sens diamétralement opposé à nos
attentes. Nous avons manqué de réalisme en pensant que les appareils issus de la
pensée léniniste (PCF et LCR) avaient vraiment changé et qu’enfin l’objectif
d’émancipation sociale allait devenir leur priorité.
Nous nous sommes laissés abuser par les propos des
Mélanchon, des Besancenot et des Buffet. Nous espérions tellement ! Nous
attendions tellement un courage politique qu’ils n’ont pas eu. Leurs actes n’ont
jamais été à la hauteur de leurs propos. Celle qui occupait une place centrale
et qui avait signé un livre intitulé « Un peu de courage » n’en a pas eu
le moindre. Ils nous ont trompés. Le PRS, le PCF et la LCR ont délibérément tué
la démarche unitaire qui nous avait mobilisés contre le TCE. Ce faisant, ils se sont faits, une fois
de plus, les complices d’un système qu’ils affirment contester sans jamais le
mettre à mal quand l’occasion leur en est donnée. La
gauche n’est plus qu’un immense champ de ruines. Ruines des socialistes, ruines
des héritiers du léninisme. Echec total. Ni les uns, ni les autres n’ont été
capables d’offrir une résistance crédible à la mondialisation, un projet
politique global qui nécessitait une riposte de gauche globale.
Les
socialistes, contaminés par les idées chrétiennes-démocrates de la 2e
gauche, ont accompagné, voire accéléré la mondialisation. Ils ont accepté que
l’injustice et l’exploitation s’apparentent à l’ordre naturel des choses. Ils
sont presque toujours à l’origine, en France comme en Europe, des principales
décisions qui ont fait avancer la mondialisation. Ce n’est pas un hasard si
c’est un des leurs qui dirige l’Organisation Mondiale du Commerce, instrument
tout puissant de la dérégulation mondiale. Le PS français, une fois acquis le
principe d’une économie de marché dérégulée, s’est réduit à une machine à offrir
des possibilités de carrière. Les
pratiques décidées par l’appareil du PCF en 2006 (imposer sa volonté partout
même quand on est minoritaire, créer des « collectifs » de toutes
pièces composés exclusivement de militants PCF, diaboliser ceux qui sont d’un
avis différent, etc,) prouvent que ce parti n’a pas changé. Les prétextes de
moins en moins crédibles avancés par la LCR n’ont pas suffi pour dissimuler son
désir – bien médiocre au regard des enjeux – de compétition avec les frères
ennemis du PCF. Ces deux partis ont montré qu’ils n’ont rien compris aux leçons
de l’Histoire. En particulier qu’un vrai rassemblement ne peut se réduire à un
ralliement. Pétris de sectarisme, pétrifiés dans des théories obsolètes et
inaptes à la moindre mutation, ils ont été incapables de trouver la parade
efficace à cette phase globale, dérégulatrice et financiarisée, du capitalisme
qu’on appelle mondialisation. Les
uns se laissent prendre au piège du discours sur la modernité, comme si
l’injustice et l’exploitation n’étaient pas des phénomènes éternels.
« Moderniser le socialisme » annoncent-ils. Comme si c’était
ringard de tendre vers plus
d’égalité, plus de justice pour tous. Les autres sont incapables de sortir de
théories et de pratiques qui appartiennent à une culture politique morte. Il
n’en reste qu’un langage stéréotypé qui ne trompe plus
personne. Le
mot « gauche » n’est plus qu’une étiquette sur du vide. Il ne signifie
plus rien dans les faits. « La
gauche est un rêve qui se rêve et qui ne se réalise jamais » constatait
Malraux. C’est bien plus vrai aujourd’hui que lorsqu’il le déplorait. A nous de
le démentir. Ne nous résignons pas à ce que le mot « gauche »
appartienne désormais à la nostalgie. 3.
SANCTIONNER L’ECHEC D’UNE DEMARCHE Je
suis de ceux qui pensent qu’au pays de l’espérance, il n’y a jamais de
crépuscule. Avec Jaurès, je suis convaincu que « l’Histoire enseigne aux hommes la difficulté
des grandes tâches et la lenteur des accomplissements ; mais elle justifie
l’indicible espoir. » Le champ de ruines qu’est aujourd’hui la gauche
offre une opportunité : construire une gauche
nouvelle. Décembre 2006 a sonné le glas d’un terrible échec :
celui de « l’Appel pour un rassemblement antilibéral de gauche et des
candidatures communes ». Ce qui a été tenté à la fois sur la stratégie et
sur le contenu est désormais obsolète. Les CUAL du départ, victimes
d’infiltrations et de manipulations, ont perdu leur principale raison d’être.
Quant aux dizaines de faux CUAL, créés de toutes pièces par le PCF, ils
demeurent ce qu’ils ont été le temps de nuire : des sections rebaptisées du
PCF. Les concessions énormes consenties pour préserver les chances d’une unité
tant désirée ne s’imposent plus. Il ne peut plus être question de privilégier
des « ambitions et des stratégies » qui font de nous les otages des
appareils. Il ne peut plus être question d’accepter la contrainte de « 125
propositions » qui nous ont obligés, pour prix de l’unité, à concéder sur
le productivisme, sur les OGM, sur les nanotechnologies, sur la démocratisation
des collectivités territoriales, sur le nucléaire civil et militaire, sur
l’OTAN, sur l’Europe. Construire une gauche nouvelle implique que nous soyons
libérés des contraintes acceptées et des concessions consenties en échange d’une
unité qui nous a été refusée. Nous ne sommes plus liés par ce contrat qui fut un
marché de dupes. Pourtant, ce n’est pas acquis. Parmi nous, certains se
préparent à mettre l’épisode douloureux des présidentielles et des législatives
entre parenthèses et veulent que nous fassions comme si rien ne s’était passé.
Privilégiant des projets personnels de carrière qui les aliènent aux appareils
et/ou pénétrés d’une culture politique qui les rend incapables de concevoir
l’action politique autrement qu’au travers de négociations d’appareils,
incapables de concevoir l’unité du peuple de gauche en dehors de cartels de
structures qui confisquent la démocratie, ils vont tenter de nous enfermer de
nouveau dans un scénario qui a pourtant échoué.
Dans un vocabulaire usé jusqu’à la corde, ils nous
annoncent leur volonté de procéder à une « refondation unitaire de la gauche
antilibérale ». Ce sont les fossoyeurs de toute espérance. Ce sont les
mêmes qui n’ont jamais réussi qu’à privilégier leur carrière et entretenir leur
coterie, leur statut d’apparatchik, leurs impuissances successives et cumulées à
changer la vie. Au nom de leurs échecs, ils entendent nous dicter leur façon de
faire. Ils ont failli. Qu’ils s’écartent. Nos objectifs valent mieux que leurs
intrigues. 4.
DEMAIN COMMENCE AUJOURD’HUI Nous sommes des dizaines de milliers. Les femmes et les
hommes qui militent sans appartenir à un parti et qui ont soutenu José Bové et
les candidat(e)s de la « Gauche alternative 2007 » portent l’espoir
d’une gauche nouvelle. Nous ne sommes pas seuls. Des femmes et des hommes de
qualité ont courageusement exprimé leur lucidité sur l’aveuglement de leurs
propres appareils et se sont mis en dissidence pour privilégier la seule unité
qui compte : celle qui se réalise à la base, par la base. Notre volonté de
fonder une gauche nouvelle en dehors de la culture d’appareil nous fait devoir
de souligner le courage de celles et ceux qui s’en sont
libérés. L’appel à l’insurrection électorale du 1 février 2007 est
l’acte fondateur d’une démarche qui s’est prolongée pendant la campagne des
législatives et qui doit, dès maintenant, se poursuivre. Du 1er février au 10
juin, nous avons répété inlassablement notre volonté de construire une gauche
nouvelle. Dans un contexte particulièrement difficile dont nous ne sommes pas
responsables, mais également avec de multiples erreurs dont nous portons la
responsabilité, nous avons cependant rencontré un soutien réel. Certes, ce
soutien est modeste, mais il constitue une base de départ
suffisante. Il
nous faut maintenant faire vivre l’espérance suscitée, donner corps à nos
ambitions. Mais il faut le faire avec la conscience aiguë de la responsabilité
qui est la nôtre et de l’immensité du défi que nous avons à relever. Cela ne
peut se faire dans le cadre de cercles étroits de prétendus spécialistes le plus
souvent autoproclamés. Cela ne peut se faire dans la
précipitation. Pendant cet été, il faut que partout, dans tous les coins
de France, parmi toutes les composantes de ce peuple multiple et divers qu’est
le peuple de gauche, se réunissent celles et ceux qui se sont impliqués depuis
le 1er février. Déjà, plusieurs rassemblements de ce genre sont annoncés. Il
faut les multiplier afin qu’ils se tiennent au plus proche des gens et échappent
ainsi aux manipulations et aux récupérations des tenants de la culture
d’appareil. Que
partout, des petits groupes réfléchissent à deux questions essentielles :
quelles sont les valeurs fondamentales qui nous rassemblent ? Quel outil
politique faut-il forger pour les porter, les promouvoir et les faire
triompher ? Il nous incombe de vérifier ce que nous avons en
commun qui ne peut résulter de compromis et qui ne pourra faire l’objet de
concessions. Ce sont les fondations. Elles doivent être solides, c’est-à-dire
qu’elles ne peuvent souffrir d’ambiguïtés. Elles sont la garantie d’une
confiance durable entre nous. Si
des dizaines de groupes locaux réfléchissent à ces deux questions, avancent des
éléments de réponse, cet été nous aura apporté une belle moisson. Nous serons
équipés pour affronter ces assises d’automne qu’on nous annonce. Nous serons en capacité
d’écarter ceux dont la pensée s’est arrêtée en 1917 et qui préparent notre
retour sous le joug des vieux appareils avec leurs vieux discours et leurs
vieilles recettes qui conduisent toujours aux mêmes échecs. 4.
SE RASSEMBLER AUTOUR DE NOS FONDAMENTAUX Un
projet politique fondateur s’appuie sur des valeurs fondamentales qu’on partage
ou qu’on rejette, mais qui ne peuvent souffrir de compromis. Pour nous, ces valeurs s’inscrivent dans une vision du monde que résume
parfaitement la triple exigence de liberté, d’égalité et de fraternité. Ces
valeurs impliquent un refus de l’exploitation des humains par d’autres humains.
Ces valeurs intègrent totalement le rapport de l’être humain avec son
environnement. Mais énoncer des valeurs est sans effet si, en même temps, on ne
formule pas les réponses aux questions que pose aujourd’hui le respect de ces valeurs.
Ces questions sont autant de défis. Il nous faut donc les identifier. Et, sans
s’embarrasser des mots et des expressions fétiches qui génèrent les crispations,
formuler les réponses pertinentes pour ce début de XXIe siècle. Si,
pour la social-démocratie, être moderne signifie accepter le capitalisme comme
l’ordre naturel des choses, pour nous,
être moderne, c’est répondre à des défis qui passent par une remise en cause du
capitalisme et de ses effets. Il
est un défi permanent qui remonte à la nuit des temps : celui de l’inégalité. Il y a eu et il y a plus
que jamais des exploiteurs et des exploités. Aujourd’hui, comme jamais
auparavant, nous disposons des moyens et des ressources pour vaincre
l’inégalité. Mais les formes de la servitude n’ont jamais été aussi
sophistiquées qu’aujourd’hui. Etre moderne, c’est-à-dire être en prise avec les
problèmes de son temps, doit signifier pour nous que cette situation intolérable
ne peut plus être tolérée, que l’égalité, c’est plus que l’égalité des chances,
c’est l’égalité des conditions d’existence qui offre des chances égales à tous,
dès la plus petite enfance, compte tenu des potentialités de
chacun. Il
y a un défi nouveau, mais d’une ampleur considérable : la relation de l’humain avec son
environnement. Pendant des siècles, dominer les éléments naturels fut un
objectif majeur. Il exonérait de toute responsabilité ceux dont la course au
profit s’accompagnait de déprédations en tous genres. Nous avons atteint cet
objectif à un point tel qu’aujourd’hui les équilibres sont rompus, les espèces
disparaissent, la planète, telle qu’elle s’organisait depuis que l’humain est
apparu jusqu’aux débuts de la révolution industrielle, est en passe de
disparaître sans qu’on connaisse exactement les conditions de survie de l’espèce
humaine dans un environnement totalement modifié. Etre moderne, c’est restaurer
d’urgence l’ordre naturel que nous nous employons à détruire depuis un bon
siècle. Il
y a un autre défi qui s’ajoute à celui de l’inégalité et à celui de
l’environnement, c’est celui de notre
mode de vie. Comment ceux qui ont assez vivent-ils ? En quoi ce mode de
vie est-il rendu possible grâce à la permanence du mode de vie de ceux qui, chez
nous comme dans les pays du Sud, n’ont pas assez ? En quoi le mode de vie
de ceux qui ont assez contribue-t-il à la destruction de la planète ? Il
nous faut questionner les finalités de la production ; il nous faut
questionner la finalité des échanges commerciaux ; il nous faut questionner
les finalités de la consommation. Etre moderne, c’est inventer des formes
nouvelles de production, d’échange et de consommation. Des alternatives sont
expérimentées déjà et en grand nombre. Il faut s’en
inspirer. Il
y a un défi toujours renouvelé : celui de la démocratie. La France est un des
pays les moins démocratiques des pays de l’Union européenne. Nous devons mettre
en place des instituions qui diffusent le pouvoir à chaque niveau pertinent, qui
mettent à chacun de ces niveaux les contre-pouvoirs efficaces, qui organisent la
transparence de tous les actes de chaque niveau de pouvoir, qui limitent la
délégation et privilégient la participation et la démocratie directe. Mais nous
avons aussi besoin d’une République qui consacre les droits collectifs
fondamentaux et rende leur exercice accessible à tous, de la même manière. Des
principes énoncés en 1793 (le caractère inaliénable de la propriété collective
comme complément indispensable à la propriété individuelle, la révocabilité des
élus, le droit au soulèvement contre des lois injustes) doivent être actualisés.
Les conditions d’une presse pluraliste totalement indépendante des pouvoirs
politiques et économiques doivent être créées. Etre moderne, ce n’est pas
changer de République, mais changer
la
République. Il
y a un défi que nous impose la
transformation du monde en maison commune. Du local au mondial, comment
préserver les diversités ? Du village à l’ONU, comment respecter les
souverainetés ? Comment éviter que la superposition d’institutions qui font
éclater les frontières issues d’une Histoire souvent meurtrière se transforme en
une aliénation massive à des autorités sans légitimité, sans contre-pouvoirs,
sans contrôle et toujours au service des plus puissants ? Etre moderne,
c’est à la fois être citoyen-souverain dans son village, dans sa région, dans
son pays, dans l’Europe et dans le monde et combattre toutes les institutions
qui altèrent cette souveraineté. Un
autre défi est celui de la
mondialisation, c’est-à-dire la forme présente du capitalisme qui se
caractérise par une financiarisation de l’économie et une dérégulation massive.
Au nom du libéralisme économique, cette mondialisation remet en cause même les
acquis du libéralisme politique. Elle érige la compétition, la concurrence en
ordre naturel des rapports humains et des rapports sociaux. Contrairement à ce
que les élites politico-médiatiques s’emploient à nous convaincre, il ne s’agit
pas d’une fatalité. Il s’agit d’un choix délibéré de nos gouvernants de droite,
mais également de gauche dans la mesure où le mot gauche désigne les
sociaux-libéraux. Etre moderne, c’est refuser d’ériger l’économie de marché
dérégulée et financiarisée en modèle incontournable, c’est refuser d’imposer au
monde une loi du marché qui ne profite qu’à quelques-uns, c’est reprendre le
contrôle de l’économie pour la mettre au service des peuples. Etre moderne face
à la mondialisation, ce n’est pas déréguler, mais au contraire imposer des
règles éthiques, fiscales et sociales aux acteurs financiers, économiques et
commerciaux et se doter des moyens de les faire
respecter. Enfin, étroitement lié à ce qui précède au point qu’on
peut se demander s’il s’agit d’un préalable ou d’une conséquence, se pose la
question de la finalité de nos vies
et tout ce qui en découle. Comment et à quoi occuper le temps qui nous est donné
à vivre ? Comment, dans la liberté de chacun, favoriser l’émancipation et
l’épanouissement de tous? Quelle place le travail doit-il occuper dans nos
vies ? Quelle valeur et quelle fonction faut-il lui accorder ? A quoi
et comment consacrer le temps hors travail ? Questions majeures quand on
sait que les idéologies qui prétendaient au plus grand épanouissement individuel
ou à la plus grande émancipation collective furent, jusqu’à l’horreur absolue,
les plus asservissantes. Etre moderne, c’est libérer les humains de tout ce qui
les conditionne, à commencer par le bourrage de crâne médiatique et publicitaire
qui a remplacé, en efficacité, la propagande de la droite. Il
nous appartient de vérifier si nous partageons les mêmes analyses sur ces
valeurs fondamentales de telle sorte que notre socle commun génère la confiance
qui doit nous rassembler. Il s’agit de questions qui ne peuvent faire l’objet de
compromis entre nous comme elles ne pourront faire, par la suite, l’objet de
concessions de notre part. Ne peuvent se rassembler autour de ces valeurs que
celles et ceux qui les partagent totalement. Indépendamment du fait qu’ils
soient ou non membres d’un parti ou d’un mouvement dit de
gauche. 5.
FORGER L’OUTIL DE NOS AMBITIONS Un de mes maîtres à l’Université m’a enseigné que
« les partis sont des instruments
d’action en raison du but qu’on poursuit et non des tribus auxquelles il faut
être fidèle jusqu’à la mort et de génération en génération. » Cette
observation, vieille de près d’un demi siècle, n’a pas pris une ride. Elle est
même plus pertinente que jamais. Un parti ne peut être qu’un outil. Pas une fin
en soi. Les partis tels qu’ils sont organisés et tels
qu’ils fonctionnent aujourd’hui sont nés pendant la deuxième moitié du
19e siècle, à l’époque du vote censitaire, alors que n’existait pas
l’instruction obligatoire. Sont-ils
encore l’outil le plus démocratique qui soit ? Ne contribuent-ils pas à la
crise de la démocratie ? Comment faire mieux ? Ce sont des questions que nous devons examiner
avec minutie. Avec précaution aussi, tant il est vrai que très souvent les
partisans de l’ordre et des régimes autoritaires ont pris pour cible la
démocratie par délégation qui est le mode de fonctionnement des partis comme
celui du parlementarisme. Avec
lucidité enfin, car ce sont très souvent ceux qui se nourrissent d’un système
qui contestent sa remise en question. Soyons de bon compte et reconnaissons que notre
démocratie est enrayée parce que le principe de la délégation a débouché sur une
confiscation de la démocratie elle-même. Les défenseurs de la démocratie
partidaire invoquent la légitimité démocratique des partis. Mais où se trouve la
démocratie lorsque, sur 44 millions d’électrices et d’électeurs, le choix des
candidat(e)s soumis(e)s au suffrage
universel est le fait exclusif des membres des partis soit, tous confondus,
environ 1,5 % de l’électorat ? Le modèle – d’origine militaire – d’organisation
pyramidale hiérarchisée qui caractérise les partis politiques d’aujourd’hui
confère à des groupes de plus en plus restreints de personnes des pouvoirs
considérables. Le principe de la délégation qui permet le fonctionnement de ce
modèle a été à ce point étendu qu’on éprouve de plus en plus souvent des
difficultés à conférer un caractère démocratique à certaines instances. Il en va
ainsi, par exemple, du bureau exécutif des partis. Il en va de même de la
Commission européenne. Car, et c’est bien là un des dangers d’un système qui
reproduit ses propres pratiques, les partis génèrent des institutions à leur
image. En un mot comme en cent, au nom de la démocratie,
on peut et on doit questionner aujourd’hui l’organisation, le fonctionnement et
le rôle des partis politiques. D’autres que nous, comme par exemple les Verts,
l’ont fait. Avec beaucoup de bonne foi et d’idéal. Ils voulaient « faire de
la politique autrement ». Il nous faut soigneusement étudier les raisons de
leur échec. Pour ne pas le connaître à notre tour. Après plus de cent ans d’instruction obligatoire,
avec le suffrage universel, les citoyennes et les citoyens aspirent à autre
chose que de signer un chèque en blanc à des délégués dans un parti ou à des
élus dans la commune, le département, la région, le pays ou l’Europe. La
politique n’est plus acceptée comme l’art d’empêcher les gens de se mêler de ce
qui les regarde, même si de très nombreux acteurs politiques agissent encore
comme s’il en allait ainsi. Il y a un intense besoin d’une information complète
et donc de transparence sur les choix et la manière dont ils sont pris. Il y a
un intense besoin d’être associé à l’élaboration de ces choix et donc de
participation. Il y a un intense besoin d’être décideur et donc de démocratie
directe. Ce sont ces attentes auxquelles il nous faut répondre en forgeant le
nouvel outil politique qui portera les ambitions de la gauche
nouvelle. Il n’y a pas de modèle. Tout est à inventer. Même
si le mouvement altermondialiste nous a fourni beaucoup d’exemples concrets du
caractère démocratique et de l’efficacité du travail en réseaux, cette source
d’inspiration n’apporte pas toutes les réponses. Nous sommes devant une page
presque blanche. Nous devons inventer. N’est-il pas de plus belle
cause ? 6. UN NOUVEAU RENDEZ-VOUS A NE PAS
MANQUER Un rendez-vous majeur avec l’Histoire a été manqué
en décembre 2006. Nous ne portons aucune responsabilité dans l’échec de la
démarche unitaire. Dans un mode plus modeste, celui des
commencements, des aubes qui se lèvent, nous sommes par contre totalement
responsables de l’avenir que nous allons donner à la dynamique portée à partir
du 1er février par des milliers de femmes et d’hommes hors des appareils ou qui
en ont refusé la logique. Certains, qui avaient joué un rôle dans la
configuration unitaire de l’Appel du 11 mai 2006, veulent tuer dans l’œuf notre
démarche parce que, pour eux, rien ne peut se concevoir en dehors d’un cartel
d’appareils. D’emblée, ils désignent notre projet comme la création d’une
« nouvelle petite organisation
politique ». Incapables, intellectuellement, de concevoir de nouvelles
formes d’action politique collective, incapables, politiquement, d’accepter que
des femmes et des hommes sans appartenance à un parti – les plus nombreux dans
notre société – puissent constituer
un courant politique qui soit autre chose qu’un groupuscule, ils utilisent le
vieux chantage à l’unité en nous désignant comme diviseurs d’une unité qu’ils
ont été incapables de faire aboutir. L’unité est notre ambition. Mais c’est une
ambition trop nécessaire pour qu’elle soit confiée à ceux qui l’ont tuée en
2006. C’est une ambition trop belle pour qu’elle soit laissée à ceux dont le
goût du pouvoir – fut-il celui de leader d’une coterie – ou les appétits de
carrière (les municipales sont proches) constituent la seule véritable
motivation. Nous saisissons l’occasion qui nous est donnée par
le champ de ruines que représente aujourd’hui ce qu’on a appelé la gauche pour
construire une gauche nouvelle. Sur des bases différentes. A partir des gens.
Les rencontres de cet été comme le rendez-vous de l’automne nous convoquent.
Sachons, avec détermination et constance, faire prévaloir les exigences de cette
gauche nouvelle. Raoul Marc JENNAR 15 juin 2007
2.
LA GAUCHE N’EXISTE PLUS
Travailler sur l’outil qui portera nos
fondamentaux représente l’autre défi majeur. Nous devons éviter les erreurs des
appareils. Comment agir ensemble dans l’espace public dans une forme
d’organisation en prise avec les attentes de participation et de codécision
d’aujourd’hui ? Cette question est cardinale. Elle ne peut être bâclée.
Elle exige de la créativité et de l’imagination.